Si vous vous souvenez de la mythologie grecque, ou si vous vous rapellez comme moi très bien la série Ulysse 31, vous savez à quelle peine absurde était condamné Sisyphe pour avoir osé défier les dieux. Le pauvre homme devait, à bout de bras, remonter le long d’une pente un lourd rocher, qui, immanquablement, retombait une fois le sommet presqu’atteint. Et ainsi de suite, pour l’éternité.

Je crains que notre pauvre pays ne soit dans la même situation démocratique.

Tout part d’un épisode, quasi rituel, de chacune des précédentes élections présidentielles : la soit disante difficulté pour le Front National à atteindre les 500 signatures. C’en est presqu’un slogan de campagne tellement la mécanique est rodée. Au final, le candidat Le Pen a les 500 sésames et peut se présenter. Au final, et à une exception près, le pays doit faire le sempiternel choix entre la droite et la gauche. Et ainsi de suite. Pour l’éternité ?

Cette fois-ci, il semble que le parti d’extrême droite ait de réelles difficultés à obtenir les parrainages requis. Ce qui était une gentille petite comédie repétée à chaque fin de mandat prend soudain des airs de tragédie. Au point que certains se réjouissent de voir Marine Le Pen dans l’impossibilité de se présenter.

Comme dirait Dupont-Aignan (dont je ne partage pas les convictions mais j’admire le courage), debout la République ! On sait très bien pourquoi Marine Le Pen rame à avoir les 500 autographes. Chaque maire, ou chaque élu pouvant parrainer subit tout simplement les pressions de l’appareil du parti auquel il est affilié (pour certains plus ou moins). Chaque collectivité (canton, département, région) dispose de dotations à distribuer selon certains projets. Si de grandes villes n’ont que faire de ces subsides, cela peut en revanche représenter 10 voire 20% du budget d’une petite commune  ou village. Et comme le parrainage n’est pas anonyme… Vous imaginez très bien la scène : parrainez bien et vous serez récompensé, parrainez mal et c’est ceinture pendant une mandature. Quand on veut être réelu au (petit) niveau local, se priver de dotations, c’est ballot…

Pour en revenir au plan national, UMP et PS n’ont qu’une seule idée du FN : comment en tirer le maximum de voix pour l’un, comment affaiblir l’adversaire pour l’autre. Ce serait peut-être « bien joué » si c’était un sport, malheureusement il s’agit d’un des plus grands moments de notre démocratie qui doit permettre à toutes et à tous, fut-il honnis ou méprisé, d’être représenté dans le débat.

Bayrou ne propose pas de répartir les parrainages mais d’en discuter : c’est le principe même de la démocratie. Il n’y a que les media pour interpréter à leur manière ce qu’a pourtant clairement expliqué hier soir et ce matin François Bayrou. Quand dans un pays tel que le nôtre, le pluralisme est à ce point mis en danger, cela devient l’affaire de tous les partis et pas d’un seul.

Quand j’entends Valls ce matin réagir en disant que Bayrou propose « une arrière boutique pour distribuer les parrainages », c’est la mauvaise foi qui se fout de l’hôpital de l’hypocrisie. Le PS a bien signé un odieux accord avec Europe Ecologie Les Verts à l’issue des primaires socialistes, c’est-y pas de la bonne arrière boutique ça ma bonne dame ? Et si c’était à Eva Joly que manquaient les fameuses 500 signatures, vous ne croyez pas qu’on crierait au scandale national au PS ?

Et si on pensait à la partie de la population qui prévoit de voter pour le FN ? Certes, je suis persuadé qu’ils se trompent, qu’ils l’envisagent pour de mauvaises raisons, mais j’ai envie de débattre publiquement avec eux, dans les règles du jeu. Pour les battre à la loyale, et pas par un forfait monté de toutes pièces par deux appareils qui se disputent le pouvoir depuis 30 ou 40 ans et qui nous ont menés dans la situation économique, sociale et environnementale dans laquelle nous nous trouvons.

Alors est-ce faire le jeu du Front National que de permettre à chaque force politique de pouvoir présenter son projet ?

Ou est-ce tout simplement faire le jeu de la démocratie ?

 

Demain est un autre jour.